Titre: Art pillé: Faut-il vider nos musées?
Lancement
Au Royaume-Uni, un débat sur les œuvres d’art déchire le pays: faut-il renvoyer ou non les pièces archéologiques et les œuvres d’art obtenues durant l’ère coloniale et exposées aujourd’hui dans les musées? Le gouvernement refuse de rentrer en matière, alors que des activistes les appellent à restituer des pièces telles que les marbres du parthénon et la pierre de rosette. En Suisse, on aborde la question plus ouvertement. Reportage au cœur de cette controverse, entre le Royaume-Uni et la Suisse.
Intro
C’est l’un des plus prestigieux musées de la planète,lLe British Museum.
Et ce jour là,dans ces couloirs deux hommes s’apprêtent à frapper un grand coup. Caché derrière leur masques ces deux activistes comptent dévaliser l’illustre institution britannique.
Chidi Nwaubani, Looty
On s’est habillé comme si on allait dévaliser le musée, avec des cagoules et
des masques.
Discrètement, ils sortent leurs armes: pas un pistolet ou un couteau, mais un scanner pour
un vol numérique des œuvres exposées. Un acte totalement prohibé par le British
Museum.
Avec ce vol numérique les activistes veulent envoyer un message: le musée britannique doit rendre les œuvres qu’il a volées durant l’ère coloniale.
00’47
Chidi Nwaubani, Looty
90% à 95% des antiquités africaines se trouvent en dehors d’Afrique et
beaucoup de musées ne veulent rien rendre.
00’58
TITRE
1’15-1’34
Source BRITISH MUSEUM
Le British Museum c’est plus de huit millions d'objets British Museu. Parmis eux, la pierre de Rosette, les bronzes du Bénin ou encore un moai de l’Île de Pâques.
Des œuvres pillées, volées ou obtenues par des moyens suspects qui, pour de nombreux activistes et gouvernements, devraient être rendues aux pays dont ces objets proviennent.
Et une série d'œuvres fait spécialement parler d’elle: les très célèbres marbres du Parthénon, ces sculptures grecques qu’un ambassadeur britannique a saisi et envoyé à Londres au tout début du 19ème, quand la Grèce était sous contrôle ottoman.
La Grèce veut maintenant absolument récupérer ces pièces, un conflit qui mine toujours les relations entre Londres et Athènes.
Une dispute diplomatique
a éclaté ce soir entre les gouvernements britannique et grec…
En arrivant à Londres cet automne,
le premier ministre grec a
mentionné le sujet devant la presse, son homologue britannique Rishi Sunak a aussitôt annulé la rencontre avec lui sans doute
par crainte de devoir aborder la question…
2’08
Kyriakos Mitsotakis, Premier ministre grec
L’annulation
de cette rencontre a eu quelque chose de positif, qui est que les demandes de
la Grèce pour la restitution des sculptures du Parthénon ont reçu beaucoup de
publicité, pas seulement au Royaume-Uni, mais aussi pour le monde entier.
—
Nous retrouvons les activistes de Looty dans une banlieue industrielle de Londres. Ils travaillent aujourd’hui dans un local qu’ils préfèrent garder secret.
Car ils sont en train d’utiliser leur scan très controversé de la pierre de Rosette pour en faire une copie physique.
L’objectif du collectif, recréer certaines des antiquités du British Museum pour les replacer sur leur site d’origine. Cette œuvre-ci est destinée à un collectionneur.
2’55
Chidi Nwaubani, Looty
On a mis la pierre de Rosette à l’intérieur de ce paquet, la version
digitale qu’on a rapatriée au British Museum. La pierre de Rosette. C’est la
petite chérie du British Museum. De tout ce qu’ils ont volé, c’est l’antiquité
la plus importante. On a même mis un emballage, pour montrer à quoi elle
ressemblerait si on la renvoyait pour de vrai.
Mais ce n’est pas tout: les militants travaillent aussi sur une version digitale de ces œuvres, qui pourront ainsi être vues dans le monde entier.
Chidi Nwaubani, Looty
La sculpture aussi une version digitale
en réalité augmentée. Vous pourrez mettre votre téléphone devant et vous pouvez
voir la pierre originale.
Mais les activistes de Looty ne sont pas seuls à demander ces restitutions au British Museum: cet ancien curateur du musée l’accuse publiquement d’avoir volé de nombreuses œuvres.
3’54
Lewis McNaught,
Returning Heritage
C’est très clair que des objets, qui sont
des objets volés et qui ont été acquis par la violence, n’ont pas leur place
dans une une collection d’Etat. Et quand nous avons
un objet qui a été saisi de cette manière, il faut le rendre. Ce message n’a
pas été compris par les collections nationales du Royaume-Uni.
La cerise sur le gâteau pour l’ancien du
British Museum, c’est lorsque le musée a annoncé l’été dernier avoir perdu plus
de 2000 œuvres… dont plusieurs ont été vendues sur Ebay….
Un scandale qui a fait voler en éclat la défense du musée, qui a toujours soutenu
que son équipe savait mieux s’occuper de ces œuvres que les pays africains ou
asiatiques dont elles proviennent.
L’ ex-curateur des antiquités égyptiennes explique avoir lui même constaté la négligence du musée envers sa collection.
4’54
Lewis McNaught, Returning Heritage
Quand j’e travaillais là-bas, on nous faisait entièrement confiance. Il n’y
avait aucune sécurité. Vous pouviez ouvrir n’importe quelle porte, n’importe
quel tiroir, aller n’importe où dans votre département sans aucun contrôle de
sécurité.
Cet expert aide désormais les musées à gérer leurs collections et ces questions
sensibles, comme cet espace qui expose des œuvres britanniques.
Il affirme que la position du British Museum lui est imposée par le gouvernement qui contrôle les principaux musées du pays.
5’17
Lewis McNaught,
Returning Heritage
Le gouvernement refuse de rendre ces objets parce que, après le Brexit, le
pays veut donner l’image d’une nation globalisée. Et il s’agit de trophées
globaux qui ont été volés à un moment où le Royaume-Uni était une superpuissance.
Car sur le plan international, les choses ont commencé à bouger.
En France, Emmanuel Macron a déclaré que Paris devait rendre les quelque 90’000 œuvres d’art et antiquités pillées qui se trouvent dans les musées français.
En Allemagne, la ministre des affaires étrangères a rendu en personne certaines de ces pièces.
Procureur new-yorkais
Aujourd’hui, j’annonce le
renvoi de 13 antiquités cambodgiennes très importantes.
Et aux Etats-Unis, les procureurs new-yorkais
ont pu renvoyer des milliers d'œuvres grâce à de nouvelles lois promulguées
pour faciliter ces restitutions.
En Suisse aussi le mouvement est en marche. Ainsi le Musée d'ethnographie de Genève, le MEG, se montre plutôt proactif et a déjà rendu certaines de ses œuvres.
Il y a quelques mois, des momies boliviennes ont été renvoyées dans leur pays d’origine, l’occasion d’une cérémonie de départ.
11’45
Novembre 2023
Et une fois que des objets sont partis, voilà
ce qu’on retrouve à
leur place dans les salles d’exposition: des plaquettes qui commémorent les
restitutions.
Floriane Morin, Responsable du département Afrique, MEG – en français
Le masque médecine de la
Confédération Haoh-de-Noshani
et son hochet rituel en carapace de tortue ont été restitués . On a voulu
signifier cette restitution par quelque chose dans la vitrine qui explique que
ces objets ne sont plus là.
Cette conservatrice s’occupe de la collection africaine du MEG, une thématique très sensible car les pays africains ont été particulièrement touchés par les pillages.
Certes, la Suisse n’était pas une puissance coloniale comme le Royaume-Uni. Mais le musée genevois et ses objets ne sont pas à l’abri des controverses: son fondateur n’est autre qu’Eugène Pittard, un anthropologue genevois qui croyait à la supériorité des races et décrivait le métissage entre noirs et blanc comme un “péril”.
7’06
Floriane Morin,
Responsable du département Afrique, MEG – en français
Nous sommes un musée dans un pays particulier qui n 'a pas été
impérialiste au sens où il n'a pas envahi des territoires. Par
contre, un musée comme le MEG a profité de tout l'apport de biens
culturels que la colonisation, dans l'Europe entière, a fait se concentrer dans
les capitales européennes.
La conservatrice en cheffe du musée explique que répondre à des demandes de restitution n’est pas suffisant. Pour elle, le MEG doit faire un vrai travail de détective pour identifier les propriétaires de ces oeuvres.
7’39
Brenda Lynn-Edgar,
Conservatrice en cheffe, MEG
Donc on cherche à repérer les dommages éthiques en restituant ces objets. Le
MEG, adopte une
démarche proactive, donc on cherche activement à rentrer en contact avec les
communautés sources. Avertir que nous avons ces objets dans nos collections et
entamer un dialogue autour des restitutions possibles.
Pour elle, ce travail doit se faire non seulement pour les œuvres exposées par
les musées, mais aussi pour celles entreposées dans leurs gigantesques
réserves.
Au MEG, les quelque 80’000 œuvres du musée sont rangées dans des entrepôts de plus de 3’000 mètres carrés.
Pour certains, ces restitutions pourraient être dangereuses: si on essaie de rendre activement les pièces d’un musée, Il y aurait un risque qu’à terme, il se retrouve vide.
Brenda Lynn-Edgar, Conservatrice en cheffe, MEG – en français
Il n 'y a pas du tout un danger que les musées se vident, les restitutions
sont de longs processus complexes On a eu affaire depuis 1992 à la restitution
de 6 objets en tout.
Forcer des musées ou des privés à rendre des œuvres d’art volées, c’est un débat qui a commencé après la seconde guerre mondiale.
On estime en effet qu’entre 1933 et 1945, quelques 650’000 œuvres ont été volées par les nazis.
Les propriétaires de ces oeuvres ou leurs descendants se sont battus durant des décennies pour les récupérer. Aujourd'hui, les spoliés de l’ère coloniale pensent que leur cas pourrait faire office de jurisprudence.
Chez Christie’s, la plus grande maison de vente aux enchères dans le monde, on a même nommé un chef des restitutions.
Richard Aronowitz,
Chef des restitutions, Christie’s
Ca, ce sont les archives des catalogues des
enchères de Christie’s. Les plus anciennes datent de la création de la société,
au 18ème siècle, et elles vont jusqu’à aujourd’hui. On peut y trouver chaque enchère qu’on a faite.
Les victimes des vols nazi n’ont obtenu
gain de cause qu’en 1998, lorsque des règles claires régissant ces restitutions
ont été établies.
9’36
Richard Aronowitz, Chef des restitutions, Christie’s
Ce gros livre est le protocole issu de la conférence de Washington de 1998.
Avant ça, n'importe quelle maison de vente aux enchères ou nimporte
quelle galerie pouvait vendre ce qu’elle voulait dans l’impunité la plus
complète, et n’importe quel musée pouvait posséder une œuvre volée par des
nazis.
Ce genre de règles pourraient donc un jour s’appliquer aux œuvres pillées
durant l’ère coloniale.
Richard Aronowitz,
Chef des restitutions, Christie’s
Ces questions vont toucher tous les musées de la planète, et tous les pays
qui ont beaucoup de musées. C’est un champ quasi illimité.
Mais certains acteurs du marché de l’art font de la résistance. Cette experte donne des conseils aux collectionneurs privés pour savoir
comment faire face aux demandes de restitutions car le débat gagne même les cas
les plus anodins.
Pandora Mather-Lees, Art Due Diligence
Group
Ca, c’est une obélix créé durant le règne de Thoutmosis III. Ici, il est
gardé par deux sphinx. C’était un cadeau fait au Royaume-Uni. Il y a eu des
demandes pour le rendre, mais comme c’était un cadeau, je pense qu’on devrait
le garder ici.
Ce fameux cadeau hérisse le gouvernement égyptien qui veut le
récupérer affirmant que le monument a
été gravement endommagé depuis son arrivée à Londres. Les pluies anglaises
effritent la sculpture et ses hiéroglyphes sont aujourd’hui quasi illisibles.
Mais pour cette experte, ces débats vont trop loin.
11’06
Pandora Mather-Lees, Art
Due Diligence Group
Nous possédons ces objets depuis tellement
longtemps. Ils font en quelque sorte partie de notre héritage culturel à nous
maintenant. J’allais enfant dans un musée et je regardais les objets des
indiens d’Amérique. Sans ces objets dans mon pays, je n’aurais pas pu avoir de
l’empathie pour d’autres nations.
11’30-11’40
SOURCE BRITISH MUSEUM
Une évidence pour certains, une solution
inacceptable pour d’autres… la restitution des oeuvres
qui se trouvent dans les musées du monde entier restera, ces prochaines années,
une question explosive.
11’40
Clément Bûrge
Fred Demilliac
Edgard Biondina